Hotel Bravo

 

NAPOLEON WASHINGTON

Hotel Bravo

 

NAPOLEON WASHINGTON

©2003 Sepia Prod - Tous droits réservés.

Cahors Blues festival

 

Après un concert très chargé en émotion sur la scène acoustique du festival de Cahors, j’ai rencontré l’homme à la guitare à résonateur et à la voix d’outre-tombe, le Suisse Napoleon Washington. Une petite conversation s’en est suivie, je vous en livre ici les passages les plus croustillants.

 

Bonjour Napoleon Washington. Peux-tu nous éclairer un peu sur ton parcours…

J’ai commencé la guitare à 12 ans, et j’ai illico joué pas mal en formation électrique. J’ai accompagné les tournées du New Yorkais Gary Setzer & The Roustabouts, plusieurs fois de suite (91, 92, 95). En 1992 j’ai monté un band, The Crawlin’ Kingsnake Blues Band qui s’est produit une huitaine d’années. On jouait en Europe et aux États-unis et nous avons produit un album intitulé  Stomp My Feet.
 
Par ailleurs, nous avons fonctionné comme backing band européen pour l’harmoniciste de Tampa (Floride) Rock Bottom sur cinq tournées en Europe, et au cours d’une tournée du Crawlin’ Kingsnake aux Etats-Unis, nous avons participé à son dernier album. Rock Bottom est aujourd’hui décédé, paix à son âme.»

Puis tout à coup tu te consacres à l’acoustique ?

«Oui, après pas mal d’électrique, je décide en 2000 de m’attaquer à l’acoustique. Un blues plus primitif, plus organique, plus animal, que je crois avoir toujours eu en moi. C’est comme suivre une lumière, que la distance te ferait voir comme un petit point et que tu essaies d’approcher au plus près. C’est comme cela que je suis passé du blues électrique à un blues plus acoustique, en continuant de chercher. J’ai l’impression avec ce disque, Hotel Bravo, d’avoir trouvé le terrain propice et d’avoir planté une petite graine qui peut maintenant se développer et grandir.»

Hotel Bravo est ton premier album solo ?

«Oui, mon premier bébé sous cette formule. Les quinze titres de Hotel Bravo sont vraiment très personnels, c’est un cheminement. Mais ce n’est pas non plus un produit qui veut hisser l’étendard du Blues acoustique.
 
Je ne pense pas que l’acoustique, ou le blues en général, ait quelque chose à gagner à être pratiqué comme une religion. En revanche, je me retrouve bien dans cet album, j’ai trouvé ce que je cherchais.
 
J’arrive maintenant à bosser des heures sur une guitare si c’est nécessaire. En électrique, j’avais plus de mal, parce que je n’y prenais pas autant de plaisir. Ce qui est difficile, n’est pas forcément de consacrer beaucoup de temps à bosser sur un instrument, mais d’avoir du plaisir à le faire.
 
Encore une fois, je n’en fais pas une religion mais je vais là ou cela me fait du bien… Cela n’empêche pas qu’il soit possible que sur le prochain, il y ait un ou deux titres électriques. Je garde toutes les portes ouvertes en fonction de mes envies.»

Tu composes ta musique et tes textes, de quoi t’inspires-tu ?

«Doug MacLeod me racontait qu’à ses débuts, il avait fait part de son envie de faire du blues à je ne sais plus quel vieux bluesman noir, lui avouant qu’il ne savait pas par quel bout commencer: Je ne suis pas noir, je n’ai pas connu les champs de coton, encore moins l’esclavage, j’ai jamais été au crossroad. L’homme lui a répondu Tu connais la solitude, la pauvreté, tu as déjà été triste, tu sais aussi ce qu’être heureux veut dire! Alors écris avec ce que tu connais, certains ont écrit sur les champs de coton parce c’était leur quotidien, donc la matière de leurs chansons. Parles de ce que tu connais. Sois honnête, et tu pourras le faire. J’applique cette maxime à la lettre, je compose mon répertoire avec mon vécu, mes émotions, mes sentiments.»

Parle nous de tes influences…

«Tout ce qui vient de la Nouvelle-Orléans me fait énormément de bien ! Je suis un fou furieux de Dr John et de James Booker qui étrangement sont des pianistes. Coté guitare, j’admire par exemple John Mooney, c’est un gars qui a fait un boulot énorme. Mais ce n’est pas pour cela que je lui pique des plans ou quoi que ce soit. Les gens n’ont pas forcément envie, moi le premier, d’écouter du réchauffé.
 
Mis à part Mooney, j’écoute très peu de guitaristes, cela ne m’intéresse pas forcément de m’abreuver de guitare sous prétexte que je pratique cet instrument. Moi ce qui m’intéresse c’est la potion, qu’elle soit faite avec tel ou tel instrument est un point de détail. Je cherche l’épice, le savoir-faire, une certaine rhétorique. L’outil n’a pas tellement d’importance. Il m’est arrivé de reprendre par exemple des parties de Booker écrites pour le piano, que j’adapte à la guitare. Ce qui m’intéresse c’est le groove, je suis beaucoup plus influencé par exemple par Professor Longhair, Dr John ou James Booker que je pourrais l’être par un gars comme Keb’ Mo, malgré que je le respecte et que j’aime beaucoup son boulot.»

Est-il exact que le patron d’Alligator Bruce Iglauer avait fait pas mal d’éloges à l’écoute de Hotel Bravo ?

«Oui, c’est exact, il était extrêmement positif. Mais n’étant pas à même d’ouvrir le marché américain à un musicien européen, il ne l’a pas pris sous contrat. Idem pour Ruf Records qui ne s’est pas engagé malgré qu’ils trouvaient ce projet de qualité.»

Adolescent, tu écoutais quel style de musique ?

«Du Blues, et pas mal de Rock and Roll. J’ai été un grand fan des Stones! J’ai toujours eu l’impression qu’ils avaient rêvé de faire du blues. Leur destin les a amené à être le plus grand band de rock du monde, mais leur truc au départ, c’était le Blues. Ce qui, par ailleurs, corrobore la vacuité des étiquettes.»

Lorsque l’on te regarde on constate une petite ressemblance avec Willy Deville. Est-ce voulu ?

«Non… je crois qu’il serait particulièrement idiot d’essayer de ressembler à qui que ce soit. Mais c’est toujours la même histoire: tu te laisses pousser la barbe et tout le monde te dit que tu joues comme Clapton, ou tu portes un chapeau et tu n’entends plus parler que de Vaughan, ou tu joues ta guitare sur les genoux et c’est ben Harper. Au secours!
 
Ceci dit, j’essaie de ne pas faire les choses au hasard, parce que si tu ne maîtrises pas ce que tu communiques, tout finit par parler à ta place sans dire ce que tu voudrais. Je n’essaie pas de reproduire ou de copier l’image de Willie Deville ni de quiconque, que ce soit musicalement ou dans ce qui va avec. J’essaie de faire quelque chose qui me ressemble, qui me convient et qui me correspond, simplement. Mais attention: je ne me contrains pas non plus par des règles de l’ordre de je ne peux pas faire ceci ou cela parce que Truc ou Machin le fait aussi. Comme Deville, je joue une musique puisée dans la culture du sud de l’Amérique, plus précisément celle de la Nouvelle-Orléans.»

Je vais poser la question autrement. Est-ce que Willy Deville fait partie des musiciens que tu écoutes ?

«Là, oui. Je pense que quelques uns de ses derniers albums sont vraiment intéressants. Ensuite, je ne sais pas exactement par ou cela passe, mais à partir du moment ou tu as du plaisir à écouter quelqu’un, je suppose qu’il est normal que cela ait une influence sur ton travail. Mais faisons la part des choses: quand quelqu’un fait une analogie entre lui et moi, je remarque qu’au fond ça a plus à voir avec ma chemise ou ma coupe de cheveux qu’avec ma musique.
 
Quoi qu’il en soit, je fais très attention de ne pas proposer une copie de quelque chose. Sans prétention, parce je crois que l’on invente jamais vraiment rien! Je ne voudrais d’ailleurs pas être un genre de Deville européen, un clone comme l’ont été la génération de clones appliqués de SRV ces quinze dernières années ! Il se trouve qu’il y a sans doute des points communs, parce que nous avons probablement un amour similaire pour la culture de la Nouvelle-Orléans. L’analogie serait plutôt là, à mon avis. Mais restons sérieux, il y a une sacré différence d’échelle entre lui et moi. Ce n’est pas la même ligue du tout, évidemment.
 
Disons que mon boulot serait plutôt modestement parallèle au sien, suivant un même axe, et regardant une même direction. Mais je me garde bien de me faire des modèles. Je suis redevable de la même manière à tous les musiciens qui m’ont fait vibrer.»

Pourquoi ce nom Napoleon Washington ?

«Il y a quatre raisons. La première est simplement que je trouve ça drôle, c’est le coté non-sens qui me permet de me rappeler que pour survivre dans ce métier il vaut mieux ne jamais se prendre au sérieux.
 
La deuxième raison, c’est que Napoleon et Washington sont deux mots que toute la planète, de Tokyo à Vladivostok, a déjà prononcés sans jamais les associer. Mis ensemble, ils deviennent un nom tellement inattendu et facile a prononcer que tout le monde s’en rappelle. Mon band précédent, qui s’appelait Crawlin’ Kingsnake Blues Band, m’a donné une bonne notion de ce que signifie un nom que personne n’arrive à retenir… j’essaie de ne pas faire les mêmes conneries deux fois. C’est du marketing appliqué, en somme.
 
La troisième est plus profonde. Dans mon envie de faire quelque chose de contemporain, je veille à garder l’esprit des racines. J’ai un grand respect pour ceux qui en ont construit les bases. Ce nom fait donc référence à l’épisode où Napoleon Bonaparte a vendu en 1803 la Louisiane aux américains, pour 80 millions de dollars. C’est toute l’histoire des déportations française en Acadie, puis d’Acadie vers la Louisiane, et évidemment des déportations d’africains. Il y a donc un clin d’?il à la terre de Louisiane là dedans, qui avec le Mississippi est le berceau de ma musique et du Blues en général.
 
La dernière raison, sûrement la plus importante, est de rendre hommage à l’émancipation des esclaves noirs, et à un épisode unique dans l’histoire de l’humanité à la fin de la guerre de sécession, lorsqu’ils sont libérés, les esclaves passent d’un seul coup du statut de bétail à celui d’êtres humain. Ces gens, qui souvent avaient été baptisé par leur propriétaire d’un seul prénom, doivent se choisir un nom et un prénom. C’est pour eux le premier contact avec cette liberté qu’on leur promet. Complètement dépourvus, ils choisissent de grandiloquents patronymes tels que King, Lincoln, Moses ou Washington, ou Freeman: voilà des noms qui en disent beaucoup sur les souffrances endurées… Ça me touche beaucoup. D’où cet hommage.»

D’ailleurs, tout à l’heure on parlait des Stones. Leur nom est un hommage à la chanson Rolling Stone de Muddy Waters, mais de quoi parle t’elle, cette chanson ?

«Il ne s’agit pas de celle de Dylan, on est dans un tout autre contexte: les rolling stones (pierre qui roule) était ces cailloux que les esclaves d’Afrique de l’ouest avalaient avant d’être embarqués sur les bateaux négriers, dans l’idée d’emmener avec eux une un morceau de leur terre. Ils le digéraient, le déféquaient et le réingurgitaient, tout au long de la traversée. Ce caillou était un trésor inestimable ! Tu imagines la force qu’il y a derrière cela ! Et arrive un moment où tu dois te poser la question du nom sous lequel tu vas proposer ta musique. Autant en prendre un qui résume ce en quoi tu adhères, qui raconte quelque chose. Les occasions de parler de ce qui nous tient à coeur sont rares.»
 

Sur scène, tu présentes tes morceaux, c’est un petit plus non négligeable ?

«Un concert est un acte de communication. Donc il faut t’efforcer de donner des clefs à ton public, pour lui permettre de rentrer au mieux dans tes chansons, lui donner accès à l’émotion que tu as mis dans tes textes! Mais en faisant cela, il faut aussi faire très attention de n’être ni moralisateur, ni de chercher à éduquer les gens. Et puis, mon travail n’est pas seulement de balader mes doigts sur un manche. Pour que des gens prennent du plaisir, et qu’il en ressorte quelque chose, il faut établir une communication.
 
Un journaliste me demandait hier si ce n’était pas trop difficile d’être seul en scène. D’abord je ne suis pas seul, nous sommes une équipe : il y a un ingénieur du son, sur qui pèse une immense responsabilité et un agent qui doit s’occuper de toute l’intendance et de l’organisation. Et puis, s’il y a 500 personnes au concert, je suis peut-être seul sur scène mais nous sommes 501! Eux et moi allons faire que se crée un moment magique, établir un pont, un chemin, un tuyau, appelles cela comme tu voudras. C’est mon devoir de donner ça aux personnes qui ont fait l’effort de venir. Si cela ne marche pas c’est que j’ai été mauvais. Expliquer mon répertoire, ou plus simplement raconter des histoires, est une des composantes du show.»

Justement au niveau des ingénieurs du son, pas mal de musiciens se plaignent d’avoir du mal à en trouver de vraiment bons en Europe et que seuls les américains auraient vraiment le son. Es tu d’accord avec cela ?

«Foutaises. C’est une question d’individu. Un ingénieur du son est exactement comme un musicien, c’est un membre du band avec sa part de travail. Tu peux la faire bien ou un peu moins bien, comme pour un instrumentiste. Comme pour un instrumentiste, certains croient savoir tout faire et restent en dessous de leur prétentions. D’autres plus spécialisés et moins vantards t’apporteront quelque chose de très pointu. Parfois, on tombe sur un vrai polyvalent… Tout cela est une question d’individualité.
 
Chez nous, la musique live étant moins consommée, le bassin de gens compétents en blues par exemple est plus restreint qu’aux USA, c’est simplement logique. Et quand on tombe sur une perle, il faut encore qu’ils soit prêt à mouiller sa chemise avec toi sur un projet ! Le tout c’est d’en trouver un bon et quand t’en as un, le garder. Moi, depuis de nombreuses années, je travaille avec Fabian Schild, et ce mec est un putain de génie.»

Peux tu nous parler de tes projets pour les mois à venir ?

«La distribution de l’album par Mosaic, que les ventes puissent décoller… à court terme j’aimerais bien aussi que les médias s’intéressent un peu à ce produit. Sinon il y a deux ou trois projets parallèles qui se croisent. La mise en chantier du prochain album qui s’enregistrera sûrement aux Etats-Unis et qui devrait sortir en 2005, notamment. Les arrangements sont déjà écrits, on cherche du monde pour jouer dessus, tout cela se met en place.
 
En fait, Napoleon Washington est un concept à géométrie variable. Généralement, je travaille seul, pour des raisons économiques mais aussi parce que c’est une très bonne école, très dure, la meilleure pour apprendre le métier. Et puis de temps en temps en fonction des envies et des moyens, on met en place de plus gros spectacles, avec d’autres musiciens. Comme disait un chanteur auvergnat, Jean-Louis Murat je crois, Une chanson c’est comme une nana : des fois, c’est à poil qu’elle est le mieux, quelquefois c’est juste avec un petit collier, d’autres fois en bikini, et à certaines occasions avec une très belle robe de soirée !
 
Tout dépend de l’envie du moment, de l’axe d’un album, du propos que l’on veut tenir. Derrière cela, à toi de te donner les moyens d’avoir accès à la plus grande garde-robe possible! Je veille à ne pas me laisser enfermer dans une seule formule qu’elle soit solo, duo trio, ou n’importe quoi d’autre.»

Aurais-tu préféré vivre à une autre époque ou te trouves-tu bien dans la tienne ?

«La mienne me convient. Je suis européen, blanc, nous sommes en 2004 : je ne peux rien changer à cela. Je n’ai jamais été particulièrement enchanté de cet état de fait, mais je n’ai pas d’énergie à gaspiller en lamentations sur ce que je ne peux pas changer. A partir de là, je cherche à faire quelque chose de contemporain qui colle à mon époque. Je fais très attention de ne pas faire du vieux blues. Je ne suis pas noir, je ne suis pas américain, je ne suis pas un juke box, et je ne vis pas dans les années cinquante. Pour moi il n’y a aucun intérêt à remâcher ce qui a déjà été fait autrement que pour apprendre comment c’est fait. Chez moi, en travaillant mon instrument, oui. Sur scène, en studio, non!  Personne n’arrivera à jouer du Robert Johnson si bien que Robert Johnson lui-même. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre pourquoi il est génial. Pas d’essayer de l’imiter en lisant une stupide méthode avec tablature.
 
Proposons une alternative ! Regarde, hier j’étais au concert des Imperial Crowns, et leur prestation m’a interpellé. Ce n’est pas ce que j’ai l’habitude d’écouter, mais ces gars là proposent quelque chose d’excellent. Quand Muddy Waters a débarqué de sa plantation à Chicago pour inventer le blues électrique, le concept était vraiment révolutionnaire, hyper moderne, le public de l’époque a du le prendre pour un cinglé! Les Imperial Crowns sont tout aussi modernes, à la pointe du live, dans la même démarche que Waters à l’époque.»

As-tu un coup de gueule à pousser ?

«Pousser des coups de gueule dans les médias est toujours à double tranchant. Par exemple je pourrais dire que je regrette qu’en Europe on ne consomme pas davantage de musique live ! Mais si je devais pousser un coup de gueule à propos de cela, je le pousserais contre qui ?
 
La population qui ne se déplace pas assez sur les concerts ? Si il y a si peu d’engouement pour les prestations live, c’est peut être que ce que l’on propose n’intéresse pas vraiment. Le blues a la réputation d’une musique chiante, triste et cafardeuse dans l’imaginaire collectif. Et si c’était la faute des musiciens ? J’en ai sûrement ma part de responsabilité. Peut-être que simplement, puisqu’il nous revient de proposer quelque chose de vraiment intéressant, que l’engouement pour les concerts et les festivals ne se développera que quand nous aurons pris la peine de nous y attaquer.
 
Donc le seul coup de gueule que j’aurais à pousser serait envers moi-même ! Je crois simplement que je n’ai aucune leçon à donner. Si cela ne marche pas autant que l’on pourrait l’espérer, c’est une problématique qui commence entre moi et moi. C’est le seul stade auquel je peux avoir un réelle influence.»

Crois tu que certaines scènes soient des passages obligés pour un artiste ?

«Des passages obligés, je ne sais pas mais des endroits très utiles, certainement ! Quand tu te retrouves dans des endroits comme ici à Cahors et que tu as l’occasion de t’y produire, c’est un coup d’accélérateur. Tu viens ici, tu es super bien reçu, tu prends du plaisir en jouant, tu en donnes, le public est réceptif, quoi de mieux ? Dans ce cas, c’est beaucoup plus que des passages obligés, et j’essaie d’en faire un maximum. Par contre, je crois qu’il y a des étapes formatrices indispensables dans les catégories de scènes. Je pense par exemple que les bars sont des passages obligés dans l’apprentissage du métier: le bar c’est dur, c’est ingrat mais c’est une bonne école. Quand t’as fait 10 ans de bars du plus miteux aux plus classe, au rythme de 110 à 120 concerts par an, là tu peux dire que tu possèdes un bagage. Les tournées interminables, aller bosser à l’étranger notamment, se cramponner à son os, ça constitue les passages obligés d’un développement plus général.»

Tu connaissais le Cahors Blues Festival ?

«Oui, je le connaissais : ce festival à une superbe image due a une réelle et efficace communication et je m’y suis déjà produit avec le Crawlin’ Kingsnake il y a 5 ans.»

 

Donc tu as connu les boulevards, que penses-tu de la nouvelle formule village ?

«Je trouve que ce concept est fort agréable. J’ai eu le sentiment, et quelqu’un le corroborait dans la rue ce matin, qu’il y a moins de monde que sur les boulevards. Mais ce n’est qu’une impression, c’est sûrement dû au fait que la formule est toute neuve, il faut que cela démarre. Je trouve cela très bien et très convivial de tout concentrer sur un même lieu. Et l’accueil aussi est extraordinaire! Hier je discutais avec des bénévoles qui me disaient prendre une semaine de congé pour venir bosser ici, et que déjà leurs parents faisaient la même chose avant eux. Certains sont bénévoles ici depuis trois générations! C’est assez unique et incroyable, monter un événement de cette ampleur est une chose, qu’il perdure en est une autre. Tu te rends compte, 25 ans d’existence, ce sont des coriaces.»

Dans ce milieu tu regrettes surtout l’incompétence, la lâcheté ou l’égoïsme ?

«Les trois sont de grosses punaises sur ta chaise. En y réfléchissant, l’incompétence est peut être le plus pardonnable. Parfois, derrière une certaine inexpérience, il y a une bonne intention.»

Crois tu que le futur du blues, si il en a un, passe par l’Europe ?

«On est en 2004. Avec les moyens de communications actuels (internet, télécoms, autoroute, billets d’avion low cost etc) il passe plutôt par le monde !

 

Aujourd’hui, je crois que la notion de territoire aussi bien pour la musique que pour le reste appartient au passé. Au départ le blues était une musique folklorique noire américaine cantonnée dans le sud des USA. Au début du siècle, cette musique reflétait le quotidien pénible des populations noires soumises à l’esclavage. Quatre-vingts ans plus tard, le blues a pour réputation d’être une musique triste, ce qui est complètement faux. Cette musique souffre beaucoup de ses clichés. Elle est le miroir de la vie en perpétuelle évolution, et si ta vie est drôle ton blues sera drôle, si ta vie est joyeuse, ton blues sera festif et quand ta vie sera triste, ton blues se remplira de tristesse. Cette musique à une histoire, mais son boulet appartient au passé, ce que je dis avec le plus grand respect. Bientôt quatre-vingt-dix ans d’existence, d’histoire, cela veut dire aussi un chapitre contemporain qui nous appartient. Si on ne s’épuise pas a reproduire un schéma passéiste dans une démarche muséographique, alors à ce moment là le blues a tout l’avenir du monde devant lui!!! Tant que l’on continuera de le faire évoluer, en lui donnant une dimension contemporaine, le blues ne s’éteindra pas.»

Autre chose. Dans l’esprit, tu te sentirais plus Stones ou plus Beatles ?

«Ta question soulève un débat très passionnant. Il y a plusieurs manière d’aborder tout ça. Je ne place pas les uns au dessus des autres, mais pour moi, la question revient à te sens tu plus noir ou plus blanc ?
 
A mes yeux, notre contact avec la musique en général se distingue en deux approches distinctes: l’approche mélodique des Beatles, plutôt blanche, et puis l’approche rythmique, noire, celle des Stones qui par opposition utilisent une architecture harmonique plus dépouillée mais une structure rythmique plus affirmée.
 
Le Blues est une musique qui fonctionne sur le rythme et la simplicité de moyens. Regarde John Lee Hooker: techniquement, il apparaît assez limité, c’est-à-dire qu’on imagine mal qu’il devait connaître des tonnes de renversements sophistiqués. Et pourtant il balançait des songs monstrueuses! Le genre de groove qui t’attrape et qui ne te lâche pas. C’est cela qui m’intéresse, ce coté animal plutôt que l’approche millimétrée, voilà pourquoi je me sens absolument du côté des Stones. Le Blues est une musique noire, qui fonctionne comme cela. Si tu l’abordes du coté mélodique, à la Beatles, cela devient du British Blues et ce n’est pas ma tasse de thé. Quand bien même on invente dès lors une forme de blues blanc: c’est intéressant parce que ça fait avancer les choses, mais ce n’est pas pour moi.»

Tu te sentirais justement plus proche de John Lee Hooker, d’Eric Clapton ou de BB King ?

«Clapton, non, justement !! Plus BB King pour son parcours, le coté carrière à la force du poignet. John Lee a eu une carrière différente. Et j’adore cette phrase du King, qui me revient toujours lorsque tu galères dans ce boulot, et qui résume pas mal de choses: The blues ain’t no picnic.»

Si tu étais une qualité, tu serais ?

«La persévérance, peut-être.»

Si tu étais un défaut, tu serais ?

«L’insatisfaction.»

Si tu avais un rêve inaccessible ?

«J’essaie d’avoir des rêves borderline. Situés à la limite de l’accessible et de l’inaccessible pour que cela m’entraîne vers le réalisable et que je ne sois pas insatisfait toute ma vie.»

Quelque chose que tu adores ?

«Ce boulot !»

Quelque chose que tu détestes ?

«Certains jours, ce boulot !! Non je déconne… La bêtise sous toutes ses formes. Comme tout le monde.»

En mon nom et celui du magazine Blues & Co, nous te remercions et te souhaitons un bon festival et bonne chance à Hotel Bravo dans l’Hexagone.

 

«C’est moi qui te remercie Joël, ainsi que Blues & Co et tous les français bénévoles (ou non) qui comme toi font que notre musique puisse être découverte et continuer de se développer.»

 

Joël Bizon
Blues & Co